Grand Raid de la Réunion (21oct / 165km)


 

Bonjour les courageux-qui-s'attaquent-à-cet-ultra-récap',

 

Le Grand Raid de la Réunion, communément appelé la 'Diagonale des Fous', c'est une course hors-du-commun. D'ailleurs ce n'est pas vraiment une course, pas vraiment un trail, pas tant un raid non plus, non c'est une aventure, un voyage, une expérience, un truc.. ben de fous oui. Des grands ultras ce n'est pas celui qui a le plus de kilomètres ('seulement' 160kms), pas celui qui a le plus de dénivelé ('seulement' 9400mD+), pas celui qui attire le plus de monde, mais c'est le plus terrifiant, le plus mythique et, peut-être bien, le plus dur. La seule course où à l'arrivée, après un incroyable périple, on te donne un t-shirt avec pour inscription : "J'ai survécu".

 

Ce t-shirt, mais surtout cette arrivée bien sûr, je l'avais en tête depuis plus de 2 ans. En 2019, quand le terme 'Covid' n'existait pas encore, j'étais bien sur la ligne de départ, mais n'ai alors pas vu celle de l'arrivée, terrassé par des douleurs au ventre qui m'auront fait tituber et souffrir pendant 24heures, une barrière horaire y mettant (hélas/heureusement) fin, à Cilaos.

 

Évidemment, je n'allais pas en rester là, et, en guise de motivation et de rappel, je conservais le bracelet de la course à mon poignet, bien décidé d'y retourner l'année d'après pour aller au bout (mais aussi pour vraiment vivre l'aventure, les 24heures de 2019 n'étant que souffrances). Bon, on sait l'année 2020 que nous avons passé, et c'est donc finalement pendant 2ans que j'ai du prendre mon mal en patience et mon bracelet au poignet (oui, il est un peu dégueux..).

 

Petit problème quand même: en 2021, j'avais une autre 'petite course' au programme : l'UTMB. Celle pour laquelle j'étais pré-inscris depuis des années déjà, mais jamais tiré au sort.. Ces 2 monstres m'attendaient donc coup sur coup : l'UTMB fin août et la Diag' fin octobre. 2 des Ultras les plus incroyables au monde en moins de 2 mois, ce n'était pas vraiment voulu, ça allait être un défi un peu fou oui, mais terriblement excitant..

 

Une fois arrivé au bout des 170-et-quelques-kms de l'UTMB [(re)voir mon compte-rendu, si vous êtes vraiment maso'..], je me projetais déjà vers les 160-et-quelques-kms de la Diag'. Je savais que la grande partie des 2 mois qu'il me restait, n'allaient être presque que du repos.. je ne savais pas par contre que ça allait être 2 mois de repos forcé et même un contre-la-montre pour être rétabli dans les temps, afin ne serait-ce que de prendre le départ du Grand Raid..

 

J'étais en effet revenu du Mont Blanc avec une blessure à la cheville, toute gonflée, et qui m'empêchait de courir et d'avoir de la flexibilité dans le pied, totalement indispensable pourtant pour s'attaquer aux terrains techniques de la Réunion. Ça a duré, et finalement mon dernier espoir était qu'une dernière séance d'ostéo' juste avant de décoller, les tout derniers jours avant la course, et un dernier gros strapping, permettraient un petit miracle..

 

L'espoir était mince, mais pas inexistant, et je m'étais juré que s'il n'y avait qu'une minime chance d'aller au bout, et bien je la saisirais. Je voulais juste avoir cette petite chance de pouvoir l'atteindre la ligne d'arrivée, tant pis pour les jambes, je savais que le mental pourrait permettre de faire le reste.

 

Bon, évidemment, on était réalistes quand même avec Fred' et on savait qu'a priori l'aventure risquait de prendre fin (par la barrière horaire du coup, l'abandon n'étant nullement et jamais envisageable) au niveau de Cilaos sûrement, la grande base vie au bout de 66kms et une vingtaine d'heures. Du coup, on était partis sur ce (triste) scénario, en réservant bien une chambre d'hôtel pour cette nuit-là et en ne nous organisant que pour les 2 points (Mare-à-Bout (49kms) & Cilaos (66kms)) où elle pouvait me voir/soutenir, avec aucune préparation pour une éventuelle suite de l'aventure au-delà. C'était tellement peu probable que je n'avais pas utilisé les 2 sacs de délestage qu'on pouvait laisser aux bases vie du parcours, n'ayant donc pas de matériel supplémentaire, à part celui (surtout des t-shirts techniques secs) apporté par Fred' aux deux ravitos.

 

En fait, niveau organisation de 'course', on avait plutôt pensé à.. l'après-course, avec un vol à prendre le lundi matin, soit moins de 24h après la fin théorique du Grand Raid. Un vol réconfort pour l'île Maurice, pour se remettre des efforts de la Réunion. Or pour ce vol il fallait un test PCR négatif évidemment, de moins de 72h. Petit problème : je serai en plein Raid durant ces heures, et après mon arrivée (ou arrêt forcé), les labo' d'analyse seront fermés..! Plutôt que de préparer une éventuelle poursuite de l'aventure au-delà de Cilaos, on a plutôt organisé avec Fred' un improbable test-covid: Fred' devait acheminer le matériel de test en voiture (via la route sinueuse du cirque de Cilaos), je devais me faire tester en pleine course (!), avec l'aide des infirmières présentes sur la base-vie, puis Fred' repartirait avec la pipette dans la glacière vers le labo' encore ouvert, qui s'occuperait de l'analyse, avec un envoi des résultats le matin même du vol! Wow, scénario assez dingue, mais indispensable pour prendre l'avion post-Raid.

 

Enfin bref, pour revenir à la course, il était peut probable que j'aille au-delà de la base-vie de Cilaos, mais si, par miracle, c'était le cas.. et bien.. euh.. et bien on improviserait pour ce qui est de l'assistance..

 

Allez, jour J [oui, ça y'est, j'y suis enfin, vous pouvez reprendre la lecture..], on est jeudi 21 octobre, jour attendu depuis 2 ans, bracelet usé de 2019 toujours au poignet. Covid oblige, les départs se font par vague : la 1ère à 21h, la 5ème à 21h40. Je pars dans cette dernière vague (cool, ça fera 40min de plus à ma cheville pour dégonfler.. et je serai moins à la ramasse en ne pas courant dès le départ..). Jean-Marie part avec la 1ère vague. Je l'ai eu au téléphone, on s'est souhaités bon courage. Hélas y'a une telle foule tout le long de l'avenue du départ et autour du sas de départ qu'on ne le verra pas partir, au côté des élites, dans une ambiance de dingue. Elle m'avait manqué cette ambiance, toute l'île est en ébullition. Le Raid ayant été annulé l'année passée, la foule est encore plus en délire cette année, c'est énorme. Pendant 3jours l'île vit vraiment au rythme de cet événement. On voit chaque vague partir, partir pour une aventure de dingue, dont la moitié ne verra pas la ligne d'arrivée, mais dont chaque coureur se souviendra à tout jamais.

 

Il est temps de quitter Fred'. Elle aussi a un périple qui l'attend. Retour à notre appart' d'abord, puis petite nuit (avec un œil sur le téléphone et le Live pour voir ma progression), avant de rendre les clefs et de quitter l'appart', pour me rejoindre avec la petite voiture de location au ravito de Mare-à-Bout, situé au milieu de rien. Ensuite redescente jusqu'à la côte pour remonter par la route dingue de Cilaos jusqu'à la base vie là-bas (avec donc le kit pour le test covid), sans idée sur la suite ou non de l'aventure..

 

Je rejoins le sas, où on est 500 fadas à avoir autant hâte que peur de ce qui nous attend. Moi j'suis plutôt zen, cela ne dépend plus de moi, que de ma cheville, si elle me donne la chance de pouvoir aller au bout, je le ferais, même si du coup ça prendrait du temps et beaucoup de serrage de dents..

 

BANG : c'est le top départ ! L'ambiance est formidable, inouïe, indescriptible. La foule est en délire, et ça sur des kilomètres et des kilomètres. Quels frissons, quel kif, quelle chance que d'être là. Beaucoup ont les larmes aux yeux, moi je me dis que je les aurais : à Cilaos si à nouveau je ne peux pas poursuivre, ou alors, -oh miracle- au stade de StDenis, si j'arrive à passer cette ligne d'arrivée. On verra. Pour l'instant, entouré de la masse d'autres coureurs et encouragé par le public, je trottine tranquillement.. Attendez.. ? Quoi ?! Je trottine ? Oui, oui, je trottine, je courotte même.. et ça ne me fait pas mal ! Bon, ok, les 1ers kms sont plats et sur bitume, et ce seront bien les derniers, après y'a plus que du déniv' et du terrain bordélique, c'est là où on verra si la cheville l'accepte..

 

Pour l'instant en tout cas, ça va. La foule de coureurs commence à s'étirer et la route commence à monter. On quitte la ville de StPierre et la côte, direction 'les Hauts', avec un 1er ravito' à 14,5kms (670mD+). Il y a 2ans, malade donc, j'étais arrivé quasiment dernier à ce ravito', désert alors. Là ça va, je suis dans le groupe avec lequel je suis parti, et, surtout, surtout, je ne suis pas malade, et, pour l'instant, pas trop blessé. Pourtant on a attaqué les chemins cabossés déjà, mais ça va. J'ai ma petite technique pour solliciter le minimum la cheville gauche, faisant 'tout' avec la droite.

 

Il fait nuit, chacun rentre dans son rythme et sa bulle, éclairé par sa frontale, conscient de ce qui l'attend. Moi je ne pense qu'à profiter, profiter un max, et immortaliser tout ça avec l'appareil photo emmené avec moi (oui, oui, mon Nokia 3310 n'en prend pas..). Je m'habitue à avancer du pied droit pour soulager le gauche et mon petit rythme n'est guère un problème sur ce qui n'est pas vraiment - on l'a dit- un course, ni un trail, mais un raid, un périple où pour avancer et espérer rallier l'arrivée le mot d'ordre local est «'ti pas, 'ti pas». Et c'est donc ce que je fais, en vivant l'aventure à fond, en échangeant avec le public, posté parfois en pleine nuit au milieu d'un champ, et en papotant avec les autres aventuriers.

 

D'ailleurs, c'est comme ça qu'alors que ça bouchonne un peu avant un passage boueux, je commence à discuter avec un certain Eric. On ne le sait pas encore, mais 24h plus tard, en pleine nuit à nouveau, on sera encore ensemble, bien plus avancés qu'on ne l'est pour l'instant. Durant ces dizaines d'heures, on aura parlé de tout et de rien, de banalités (des barres énergétiques, des ..pubs McDo'(!)..) comme de choses personnelles (nos passions, sa petite fille dont c'est l'anniversaire, etc.). C'était une superbe rencontre, dont les Ultras ont le secret, et ces longs bavardages nous auront permis de ne pas penser à la fatigue ou éventuels bobos et ne pas voir les heures et les kilomètres défiler.

 

D'ailleurs, le jour arrive, avec un magnifique lever de soleil au-dessus du piton des Neiges, point culminant de l'île, à plus de 3000m. On arrive déjà (après plus de 10h de course pourtant; 50kms) au gros ravito' de Mare-à-Boue. Là où Fred' sera. Et, en effet, je la vois, avec un gros sac sur le dos et un autre à la main, contenant du ravitaillement et des fringues sèches. Elle m'accompagne sur plus de 2kms en portant ces lourds sacs, ne pouvant pas s'approcher plus en voiture du point de ravitaillement. Je m'enquiers de comment elle va, elle s'inquiète plutôt de moi et de la satanée cheville. Pas si satanée que ça finalement, je lui dis que 'jusque ici tout va bien.. jusque ici tout va bien'. Quel contraste avec il y a 2 ans, où je me tordais de douleurs, au sol, totalement exténué.

 

Je profite du ravitaillement pour bien me nourrir en solide, avec de bonnes pâtes et de la soupe (à 8h du mat' oui). Je vais faire comme pour l'UTMB: éviter si possible les barres énergétiques et autres gels sportifs peu ragoutants, et manger du 'normal', avec soupe, vermicelles, pain, etc. donc. Faudrait pas que mon ventre commence à faire parler de lui, là ça deviendrait vraiment mission impossible.

 

Je dis au revoir à Fred', et rendez-vous à Cilaos (dans 16kms). Elle me demande si ce sera le point final, je ne peux lui répondre, mais au fond de moi je sais que si je peux continuer à avancer comme ça, sans douleur, piano mais sano, alors non, Cilaos ne sera pas l'arrivée, juste une base vie avant de plonger dans le terrifiant cirque de Mafate..

 

Je continue de progresser, et me trouve à 2200m d'altitude, point culminant du Raid, avec la terrible descente de Kerveguen au menu. Cette descente c'est la descente la plus incroyable qui existe, nulle part ailleurs on trouve un tel mur à descendre. C'est simple: c'est 4kms et on perd.. 1000m de déniv' ! Ce mur se descend via d'énormes marches inégales, via quelques échelles de traviole, via des branches auxquelles on tente de s'accrocher. Il faut rester lucide et la chute n'est jamais loin. C'est là où les deux drames mortels dans l'histoire de l’événement ont eu lieu. Ca me demande beaucoup d'efforts et de concentration pour envoyer à chaque fois ma cheville valide en premier, mais ça le fait et la base vie de Cilaos n'est plus trop loin.

 

Ce gros ravito' est au stade, il y a de la bouffe, des kinés, podologues, des douches, etc. mais pas de public, covid oblige. Et ça c'est un problème, sachant que Fred' devait m'y retrouver, pas que pour le soutien moral, mais aussi pour le fameux arrêt 'test covid' d'avant île Maurice.. Il est 13h, on est en plein soleil réunionnais, et je suis en train de cramer avec Fred' au téléphone, que j'essaie d’aiguiller pour qu'elle me rejoigne. Je parlemente aussi avec les responsables de la base vie, pour qu'elle puisse y accéder. Ça me frustre et m'énerve : j'ai galéré pour arriver là, ça fait plus de 15heures que je suis en train de crapahuter et là, ce qui devait être un bon moment, de repos, de quiétude, zen, devient une vraie galère, avec des aller-retours en plein cagnard, me faisant perdre de temps et surtout de l'énergie. Oui, je pense devoir m'excuser un peu auprès de Mlle Tortue, n'ayant pas été super souriant à ce moment-là..

 

On finit par se retrouver, et elle me demande si c'est 'Stop ou Encore?'. Réponse : jusqu'ici tout va bien, donc on.. continue ! Ma cheville m'a octroyé la chance dont je rêvais, et je compte donc bien la saisir. Même si, oui, ça va être long, vue ma petite allure. On s'occupe de l'opération 'test-covid' avec une jeune infirmière qui nous aide dans cette situation ubuesque. Pas super agréable le coton-tige dans le nez alors qu'on est en pleine aventure du Grand Raid, avec désormais donc plus de 66kms au compteur.

 

Mon arrêt aura duré super longtemps (près d'1h30!) et n'aura pas été de tout repos, ce qui me frustre un peu, mais l'important c'est que ce n'était pas un arrêt final, et que l'aventure va donc se poursuivre, chose qui n'était pas le cas il y a 2 ans. Je ne sais pas vraiment ce qui va m'attendre là, même si j'en sais assez : ça va être dur, terriblement dur. On va attaquer la monstrueuse montée du col de Taïbit, avec 1000m de D+ sur 6kms. Ça marquera le passage du Cirque de Cilaos à celui de Mafate. Mafate c'est un paradis, mais un enfer aussi, disons un paradis infernal. 'Mafate' signifie 'Celui qui tue' en langue malgache. J'espère qu'il ne me tuera pas, même si je sais que le combat sera rude.

 

Il y a beaucoup d'abandons à Cilaos. C'est quelque part le dernier point où cela est possible. Ensuite c'est un peu 'marche ou crève'. Le cirque de Mafate ne permet aucun accès routier, soit t'y sors de toi-même, à pieds, soit c'est un hélicoptère qu'il faudra appeler pour te rapatrier. 'Welcome to the jungle' désormais, heureusement entrecoupé de petits îlets, ces mini-hameaux au milieu de ce cirque de verdure et de sommets, avec quelques cases et de courageux habitants qui vivent ici, isolés du reste de l'île/du monde.

 

Les paysages sont époustouflants. Faire passer une course par ici est vraiment une folie. Plutôt que de penser à la fatigue et aux petits bobos, je mesure l'immense chance que j'ai d'être ici, dans ce décor monstrueux que j'adore tant. «'Ti pas, 'ti pas» pour monter le Col de Taïbit qui semble interminable. La brume est accrochée au sommet, j'y parvient juste avant la tombée de la nuit, un peu avant 19h (la nuit tombe vite, et avec elle, les températures). A 2081m d'altitude, dans les nuages, et avec l'obscurité qui arrive, tout le monde 'bâche' en mettant plusieurs chaudes couches. C'est ça aussi qui est dur sur la Diag': les différences de températures, c'est vraiment 2 mondes que de se trouver en pleine jungle sous le cagnard, ou d'être perché à 2000m de nuit, tout transpirant suite à une montée infernale.

 

Après le Taïbit, on redescend rapidement vers Marla, le plus élevé des îlets, à 1600m. Le ravito y est super, avec de la soupe chaude et, comme toujours à la Réunion, des bénévoles au top. Je blague avec eux, j'ai un gros smile sur le visage, tellement heureux de vivre tout ça. Je ne pense nullement aux bornes et dénivelé qui me restent (pourtant plus de la moitié encore), je vis l'instant présent et tente de me ravitailler au mieux pour poursuivre jusqu'au prochain point. Je retrouve mon compagnon Eric, avec qui on partage une soupe. Beaucoup sont allongés sous leurs couvertures de survie, à même le sol, et tente de retrouver un peu d'énergie. Ça fait 24heures que l'aventure a commencé, on va attaquer notre seconde nuit là, noire, mais qui sera blanche pour moi..

 

Je repars, direction le prochain arrêt, qui sera, après la montée du col des Bœufs (dernier point au-dessus de 2000m), sur ce qu'ils appellent la Plaine des Merles. Que ce soit des bœufs ou des merles, ça n'effraie pas un Taureau tout ça, et je poursuis donc ma route, dans l'obscurité, éclairé par le faisceau de ma frontale. La vue sur le 'Mafate by night' avec de petites frontales un peu partout, devant derrière, en-haut, en-bas, est magnifique; les photos n'arrivent pas à rendre pas justice à cette beauté.

 

J'arrive au ravito de la Plaine des Merles, tout emmitouflé, comme la majorité d'entre nous. Il y fait un froid de canard, heureusement la soupe avec vermicelles nous réchauffe. Mon ventre est super gentil avec moi, aucun souci de ce côté-là. Je vais plutôt bien après ces 87kms en 24h, plus de la moité est faite et je sais que ce petit rythme que je tiens je pourrai encore le tenir longtemps.

 

Juste après, on arrive au fameux Sentier Scout, un des sentiers les plus célèbres des cirques de la Réunion, un sentier qu'on avait fait en rando' il y a 2ans, avec Fred' et Seb' Monceaux.. C'est un condensé de ce que les cirques réunionnais peuvent proposer d'incroyable, avec des passages avec chaînes, échelles, marches évidemment irrégulières, et le tout souvent en corniche, avec des précipices vertigineux à nos côtés. Cet incroyable chemin mène à Îlet à Malheur, plutôt abrité, où je vois pas mal de raideurs s'allonger au bord du chemin et tenter de se reposer un peu. Puis on arrive à Îlet à Bourse, que je connaissais, on y avait passé une nuit en gîte il y a 2ans. Là un petit point d'eau nous attend.

 

Un peu avant minuit, et donc après 26 heures de 'course', je passe la distance de 100kms. Ça commence à être dur, je ne peux plus trop le cacher, et je suis déçu qu'après ces heures dans le Sentier Scout, il n'y ait pas un gros ravito', avec possibilité de se réchauffer voire de s'allonger un peu. Je commence à avoir mal en dessous des pieds, qui souffrent évidemment sur un tel terrain et avec des chaussettes plus très fraîches.

 

Le gros ravito' où on pourra se (re)poser est celui de Grand Place, un des plus grands îlet de Mafate. Il n'est 'que' à 3,5kms, mais à l'allure que j'avance, et qu'on a un peu tous à ce moment de l'aventure, et vu le terrain, ça signifie quand même plus d'1 heure encore d'effort. C'est aussi ça qui est dur sur cette course avec ce petit rythme: quand on essaie de te rassurer en te disant que c'est ne 'qu'à 10kms', et bien en fait ça te déprime plutôt quand tu te rends compte que ça fera 3 heures finalement..

 

Mais bon, allez, y'a un gros ravitaillement qui nous attend, avec de la chaleur et de monde. Là ça fait plusieurs heures que j'avance à 'ti pas, seul dans la nuit, je ne suis plus avec mon compagnon de galère, Eric, et les heures, dans cette obscurité, semblent donc longues.

 

Il est 2h du matin, quand j'arrive enfin au big ravito de Grand Place. L'accueil quand on sort de l'obscurité et qu'on arrive dans le hameau sauvage est des plus chaleureux. Un peu trop en fait: un gars scande notre nom et dossard, et ça juste à côté de l'emplacement des lits de camps, dehors, où beaucoup cherchent à roupiller un peu. Je me dis que j'vais tenter de dormir un peu aussi, on n'est pas pressés (je suis large niveau barrières horaires) et ça pourrait me faire beaucoup de bien. Tous les lits de camp étant occupés, je vais un peu plus loin où ils ont prévu de gros sacs vides de transport de gravas par hélicoptère (oui, oui!). L'idée s'est de s'allonger dedans, pour s'abriter un peu. Mauvaise idée: en mettant les pieds dedans je remarque que c'est trempé, pas cool pour mes petons et chaussettes déjà bien humides. Du coup, je pars faire la queue pour espérer profiter d'un lit de camp. Oui, oui, ça prend du temps tout ça, mais on n'est plus à ça près. C'est mon tour, on me demande quand est-ce qu'il faudra me réveiller: dans 15 minutes ? 20 ? 30 au max ? Il me semble que j'opte pour 20minutes, mais une fois allongé, sous une couverture humide, je constate que le sommeil ne viendra pas. Lorsqu'on vient me 'réveiller', je commençais tout juste à entrapercevoir les bras de Morphée. Mais bon, 'faut se lever, faut repartir. Et laisser la place à un autre aventurier. Celui-ci s'approche et..qui voilà? Et bien Eric, celui avec qui j'avais déjà passé tant d'heures. C'est dingue. Bon, on ne repartira donc pas ensemble, mais on espère bien se recroiser, plus loin, un peu plus proche de l'arrivée encore..

 

Une longue montée pénible nous attend, celle qui va nous mener à Roche Plate, toujours en plein Cirque de Mafate. Il y a 10kms avec plus de 1100m de D+. Avec évidemment des marches, aussi hautes qu'irrégulières. Là, ma frontale se met à clignoter: c'est le signe qui indique que la batterie est bientôt.. vide ! Arrrgh. Bon, a priori ce n'est pas trop grave: j'ai bien une 2nde batterie que je peux mettre à sa place, non.. ? Euh.. non: ma 1ère batterie, vidée par la 1ère nuit, je l'ai laissée à Fred', à Cilaos, je n'avais pas anticipé au-delà, ne pensant pas être encore en course aussi loin.. Aie, on a un petit problème là donc..

 

Ma frontale, en mode économie max, éclaire encore un peu, mais ça ne durera pas plus d'1 heure, extinction des feux alors. Ce qui est plutôt embêtant en pleine nuit, au milieu du Cirque de Mafate et ses chemins escarpés. En sortant du ravito, je décide donc de suivre les pas d'un autre trailer/raideur, mais en restant vraiment derrière collé à lui, frontale éteinte. Je pense que le mec a dû halluciner un peu, mais, en plein effort, il n'a pas cherché à comprendre et à me demander le pourquoi du comment. Ça devait être bien chiant pourtant un mec collé à ses basques comme ça, qui ne le lâche pas d'une semelle. J'essayais de bien regarder ce que sa frontale éclairait, histoire de ne pas me prendre une racine ou rater une marche. Situation dingue, mais bon, on n'était plus à ça près.. Mais ce fut vraiment pénible, tout ce que j’espérais c'est que le lever du soleil se ferait vite. Heureusement que les nuages s'étaient dissipés et qu'une belle lune éclairait un tant soit peu notre sauvage environnement. J'hésitais quand même à me poser quelque part (mais où, dans cette jungle..?) pour laisser passer le temps. Je me souviens d'avoir regardé non stop l'heure sur ma montre en espérant que le soleil se lèverait vite. Je pensais que ça allait être vers 5h du mat', dans une petite heure encore. Ayant perdu mon éclaireur, j'utilisais le petit reste de ma batterie de frontale pour éclairer les pas devant moi et continuer, à faible allure, à progresser. J'étais content de faire une pause pipi, histoire d'économiser la pile une petite minute de plus et laisser le soleil une petite minute de plus pour se lever.. Ça allait bientôt être le cas, et notre 2ème (ou 2nde.. ? Personne autour ne moi ne voulait devoir en attaquer une 3ème..) nuit commençait à toucher à sa fin.

 

Je croise un gars qui boite fortement, à un tout petit rythme. Il m'explique qu'il est blessé, tendinite ou syndrome de l’essuie-glace il me semble, mais qu'il n'y a pas d'autres manières de sortir de Mafate, aucune ambulance ou voiture ne pourra venir le chercher. Déjà que pour moi, à mon rythme chaque km me semble interminable, je n'ose pas imaginer pour lui.. Courage mec.

 

On avait tous hâte de voir le bout de cet enfer paradisiaque de Mafate. Ca allait bientôt être le cas.. Enfin.. quand on dit 'bientôt' à la Réunion, c'est dans quelques kilomètres certes, mais plusieurs heures quand même.. Gros soulagement: le soleil s'était levé (vers 5h du mat' en effet) et après une grosse montée on allait arriver au ravito' de Roche Plate. Avec la lumière du jour, on voyait mieux l'incroyable décor qui nous entourait. Des murs de végétations, des pitons abruptes, des chemins inouïs. On zigzaguait et slalomait dans cet énorme Cirque de Mafate, je voyais de pauvres raideurs un peu partout, certains au loin en pleine montée éprouvante, d'autres là-bas, en pleine descente.. éprouvante aussi. Quelle vue incroyable encore, ces souvenirs me resteront gravés évidemment.

 

Ca y'est, j'arrive au ravito' de l'îlet de Roche Plate. Il est 6h30 du mat', 33 heures de course bientôt, 110kms de faits. Hélas le ravito lui-même était, comme toujours, un peu plus loin qu'espéré, oh rien, juste 1km.. euh.. 20minutes donc.. Quelle organisation de fou quand même d'avoir mis un ravitaillement là. La logistique est vraiment incroyable. Sous les barnums, il y avait à manger et à boire, mais aussi des lits de camp et une tente médicale.

 

Comme toujours j'ai pris le temps de bien me nourrir, mais aussi de changer de haut, en repassant en débardeur, le soleil commençant à faire son effet. J'ai également cherché une crème Nok pour le dessous des pieds qui commençait à être de plus en douloureux. Ils n'avaient que de la vaseline, ça allait faire l'affaire pour refroidir et graisser mes pauvres petits pieds, bien malheureux de devoir retrouver après quelques minutes les mêmes chaussettes et mêmes chaussures, plus trop fraîches..

 

A ce ravito' avait lieu la jonction des 2 parcours entre le notre, celui de la Diagonale des Fous, et celui des "petits joueurs" (entre beaucoup de guillemets..) du Trail de Bourbon, avec ses 105kms, oui, "seulement".. Là, à mon passage, c'était ceux classés vers la 40ème-50ème place qui passaient. Du costaud donc. Mais avant de repartir pour l'aventure, qui vois-je.. ? Eric bien sûr, tout juste arrivé à ce ravito. Incroyable que nos chemins se croisent à nouveau. Il a un coup de moins bien, et semble un peu moins sûr de pouvoir y arriver et d'atteindre la ligne d'arrivée. Alors, que durant les longues heures ensemble, c'est lui qui m'assurait qu'on allait y arriver et qu'on verrait, triomphant, le stade de StDenis. Là c'est à moi de le rassurer « Allez, ça va le faire ; prends le temps de te reposer un peu, tu verras on se recroisera plus tard » L'ultra-trail c'est des hauts et des bas, avec un moral qui fluctue en fonction. Le mien était finalement de mieux en mieux, étant désormais assuré que ma cheville n'allait pas me poser de problème. Finalement c'est les pieds douloureux, qui me causaient le plus de soucis.

 

Allez, on repart, direction le dernier îlet du cirque et de l'aventure, l'îlet des Orangers, à 1000m d'altitude. A partir de là on quitterait vraiment 'les Hauts' pour s'approcher, enfin, de la côte. A 8h du mat' il faisait déjà un soleil de plomb, c'était parti pour une grosse journée d'effort et de chaleur encore. Les moches casquettes typiques du Grand Raid (les 'sahariennes', avec protection de la nuque) étaient à nouveau de sortie, on a tous l'air ridicules avec, mais au moins on crame un peu moins. Évidemment, à chaque passage à gué d'un cours d'eau, j'en profitais pour me rafraîchir la tête, craignant le coup de chaud. On en avait passé et repassé d'ailleurs des cours d'eau, de manière acrobatiques souvent, en évitant pour ma part si possible de tremper mes pieds, déjà mal au point.

 

Avec cette chaleur je buvais bien sûr beaucoup ; de l'eau plate majoritairement, mais aussi de l'eau gazeuse et un peu de coca aux ravitos. Là j'étais quasiment à sec, heureusement que le petit point d'eau de l’Îlet des Orangers se présentait enfin. Il était 9h du mat' avec une chaleur digne d'un mois de juillet chez nous. Mais là, aie, on nous annonce une plutôt mauvaise nouvelle : restriction d'eau, il en manquerait sinon pour les suivants, du coup impossibilité de reremplir les flasques. On avait juste droit à un verre d'eau. Mais bon, les bénévoles se voulaient rassurants : le big ravito' de la base vie, n'était plus très loin, là il y aurait de tout, eau comprise évidemment. Euh.. et c'est encore loin ? Bah, moins de 9km. Euh.. 9kms.. ?! Ce qui fait donc.. presque 3 heures.. Aie, zut, dur. Mais bon, on n'peut pas faire autrement, faut tenir jusqu'à là-bas. Heureusement que mon moral est toujours au beau fixe et je blague avec les locaux avant de repartir, direction la big base vie donc, celle dite de 'Deux Bras', située entre 2 cours d'eau.

 

Je croise le champion cycliste Laurent Jalabert, qui fait le raid avec sa compagne. Je vois qu'il est sévèrement blessé au visage, j'apprendrais plus tard qu'il a fait une lourde chute dans la terrible descente de Kerveguen, avant Cilaos. Lui aussi est embête par ce souci de ravitaillement.. et, encore, à ce moment-là nous ne savions pas ce qui allait nous attendre dans quelques heures, à la fameuse base vie.. [oui, je fais un peu de teasing pour tenter d'accrocher le peu de lecteurs qui subsiste..]

 

Direction la grande base vie de Deux Bras donc. Sous un soleil de plomb. Il n'est pourtant que 9h du mat'. La journée va être looongue. Et chaude. Et derrière, il y aura la 3ème nuit.. Ce qui ne sera pas le cas pour les trailers engagés sur le 100kms, qui me passent avec des foulées que je ne peux que jalouser. Mais bon, restons concentrés et ne pensons pas à trop loin, tentons déjà de rejoindre Deux Bras, sans finir trop vite le peu d'eau qui me reste. Les chemins qu'on emprunte sont magnifique, nous passons d'étroites gorges et devons franchir plusieurs cours d'eau, dans lesquels on se trempe bien la tête. Ah, tiens, en voilà encore une de rivière à passer. Bon, alors, il est par où le chemin qui le traverse ? Et bien.. y'en a pas. Pas de rochers sur lesquels on peut sauter, pas de tronc d'arbres à travers, rien. Faut le passer, comme ça, l'eau jusqu'aux genoux. Là il y a 2 écoles : ceux qui y vont franco, en plongeant tout entier dans le cours d'eau, et ceux qui prennent d'abord le temps de retirer les chaussures pensant plutôt à long terme et les effets de chaussettes et chaussures gorgeant d'eau. C'est mon cas : vues mes douleurs aux pieds, qui brûlent et commencent à sentir l'ampoule, je passe la rivière pieds nus. Et de l'autre côté je prends le temps de laisser les pieds sécher. Oui, oui, on ne peut pas dire que je me sois pressé durant tout ce raid, tranquillou, tranquillou, le seul objectif étant de passer cette ligne d'arrivée tant rêvée.

 

D'ailleurs, à ce sujet, vers 10h, je vois que j'ai un appel. C'est.. Jean-Marie. J'hallucine un peu, et me demande ce qu'il se passe et si tout va bien de son côté. Je le rappelle.. et là il m'annonce qu'il est au stade de StDenis et qu'il vient donc de passer la ligne d'arrivée! Oh putain, énorme. Il a vraiment sorti une perf' extraordinaire, un gros coup de chapeau à lui. De mon côté c'est casquette saharienne sur la tête plutôt et des 'ti pas 'ti pas pour rejoindre Deux Bras. La descente me semble interminable, et ça l'est. Évidemment le ravito est bien plus loin qu'annoncé/espéré et je commence à souffrir niveau chaleur et niveau pieds. Et de manquer d'eau. Tel un mirage je vois une tente au loin, mais arrivé sur place, je constate que ce n'est qu'un point de contrôle.

 

Finalement, à 11h30 j'arrive à l'énorme base vie de Deux Bras. J'ai 125kms sur la montre et presque 38h de course. J'suis bien sûr fatigué, mais mon plus gros souci ce sont mes pieds, très douloureux. Y'a la soif aussi, mais 3-4 bons verres d'eau règlent ça. A cette base vie, on avait la possibilité de laisser un sac, avec des affaires de rechange, dont chaussettes voir chaussures propres. Moi évidemment, ne pensant pas aller jusqu'à là, et bien je n'ai pas de sac qui m'attend et donc rien de propre, alors que je suis trempé par la transpiration. Je comprends mieux ceux qui se jetaient dans la rivière sans retenu: ils savaient que du sec les attendaient ici.

 

Avant de remplir mes flasques et de songer à repartir, je passe par le stand des kinés et podologues. J'ai surtout besoin de ces derniers, en espérant qu'ils puissent calmer mes brûlures. Mais ça je ne le saurais jamais : après une attente de 30minutes au soleil sur un tabouret bancal, ce n'est toujours pas mon tour, ce qui s'explique par une désorganisation totale au niveau de la gestion de la 'liste d'attente'. Maintenant j'en souris, mais sur le coup j'étais vert: j'ai attendu pour rien et vais donc devoir repartir avec les brûlures aux pieds non soignées.

 

Frustré, je retourne au stand de l'eau pour boire encore un peu et surtout enfin recharger mes flasques. Et là, surprise.. aussi grande que douloureuse : il n'y a.. plus... d'eau ! Oui, oui, pas d'eau. Plus une goutte. En plein raid, en plein cagnard, avec encore la moitié des coureurs à passer . Hallucinant. Le ravito étant au milieu de rien à nouveau, ce n'est pas comme à Cilaos, où il y a une ville, des routes, un acheminement rapide d'eau qui pourrait se faire. Là, on est encore dans Mafate, entre deux bras de rivière, entourés de montagnes, et surtout avec un soleil qui nous nargue. J'suis encore plus frustré: j'aurai du remplir mes flasques avant, là j'ai attendu un podologue pour rien et désormais il n'y a plus d'eau. Évidemment il faut relativiser, mais à ce moment-là, quand t'as fait 38heures d'effort et que t'en es à 2 nuits blanches, c'est très compliqué de rester zen. D'ailleurs, certains n'y arrivent pas et ça râle fortement. Quel raté de la part de l'organisation. Bien sûr les bénévoles n'y peuvent rien et se retrouvent en première ligne devant des trailers très frustrés. Apparemment les médias sont au courant : il y a la chaîne télé Réunion Première qui est sur place et en fait un reportage, et le lendemain ça fera quelques articles dans les journaux. Même si c'est compliqué, je tente de prendre mon mal en patience et blague avec les bénévoles, qui ne peuvent proposer aux coureurs que du coca (très tentant, mais vive la soif dans quelques minutes..) et du .. Yop. Oui, oui, du yaourt au lait. Vive l'estomac dans quelques minutes..

 

Vu que ça continue à durer et qu'il n'y a aucune info sur l'arrivée d'un hélicoptère chargé de bonbonnes d'eau, certains se laissent tenter par ces deux breuvages, et d'autres repartent même les flasques vides, ce qui me semble déraisonnable vue la montée qui nous attend et la terrible chaleur. J'arrive à me raisonner et à prendre mon mal en patience, continuant à papoter avec un peu tout le monde. Laurent Jalabert et sa compagne attendent aussi, et sont frustrés par ce problème organisationnel aussi. Grâce à mes photos, je vois que je suis arrivé à 11h30 à la base vie, et qu'à 13h15 seulement l'hélicoptère tant espéré atterrit. Évidemment tout le monde se précipitent vers les bonbonnes d'eau et celle-ci à un goût divin. Enfin mes flasques sont remplies et enfin je vais pouvoir repartir après un arrêt au stand qu'on ne pourra à nouveau pas qualifier d'optimal.. Ce qui est optimal par contre c'est le timing: au moment de repartir je vois.. Eric, encore et toujours, qui a repris du poil de la bête, et qui peut commencer à envisager l'arrivée lui aussi. 

 

Rapidement dans la montée je m'aperçois que j'ai bien fait de ne pas repartir à vide. Certains 'coureurs' sont allongés au bord du semblant de chemin, en détresse. La montée est terrible, c'est celle dite de 'Dos d’Âne' avec 700m de D+ sur moins de 5kms. On met les mains, on s’accroche à ce qu'on peut pour hisser le corps vers le haut. Finalement le côté positif de cet interminable arrêt c'est que j'ai pu récupérer un peu et que niveau fatigue ça semble aller.

 

Moralement c'est plus simple aussi. Ça y'est : on quitte définitivement le cirque de Mafate et 'Les Hauts' et on va retrouver la civilisation. A Dos d’Âne on aura fait le plus dur, avec 130kms au compteur et 8000m de D+. On sait que là c'est la dernière journée. Vu l'épisode 'Deux Bras' et mon faible rythme, on n'arrivera pas à éviter le début de la 3ème nuit, mais on peut commencer à se dire que l'arrivée devient plausible.. peut-être même probable..

 

Bon, pour l'instant je me projette surtout vers le ravito de 'Chemin Ratineau'. Oui 'chemin', il y a donc des habitations, de la vie. Ça y'est, finie la jungle. Euh, tout du moins c'est ce que je pensais. Après être rapidement passé par le ravito' de Chemin Ratineau on se dirige, tout en descente, vers la grande ville de La Possession. Pourtant, cette dizaine de kms est tout aussi casse-gueule, empruntant des sentiers qui.. ben, qui n'en sont pas en fait.. On passe de blocs de pierre à blocs de pierre, s'accrochant à des lianes tels un tarzan mal-en-point. Pfff, moi qui pensait qu'on allait enfin retrouver un peu de roulant. En fait ça n'existe pas à la Réunion, et encore moins sur le Grand Raid, tout est difficile, pentu, technique, irrégulier. Aucun kilomètre n'est gratuit. Et donc, finalement, je suis encore loin d'être arrivé..

 

Il n'y a plus trop de groupes ou même grappes de coureurs, on avance souvent seul. J'accoste quand même un gars, plus âgé, qui porte un t-shirt que je reconnais bien : celui de l'UTMB. Il fait la même folie que moi : le doublet UTMB – Diag'. Il est de notre région aussi, on papote et blague ensemble, et immortalisons cette rencontre. (oui, oui, tout le long je continue à prendre des photos, au final j'en aurai près de 400... Oui, oui, vraiment en mode touriste j'étais..)

 

Vivement La Possession (plus de 145kms sur ma montre), parce que là il y aura Mlle Tortue. Je vais enfin la retrouver. Comment les a-t-elle passé elle ces 24 dernières heures ? Je l'avais quittée à Cilaos vendredi midi, test PCR dans les mains. Maintenant on est samedi, fin d'après-m', et mes joues sont encore plus creusées et mes cernes encore plus prononcées..

 

18h, j'arrive à La Possession et je retrouve Mlle Tortue. On est heureux. On sait qu'on a fait le plus dur. On sait que ça devrait le faire, qu'il 'suffit' de finir maintenant. Un bonheur ne venant jamais seul, Fred' m'apporte également des habits secs et propres, dont, des chaussettes. Ouf, enfin. Ça ne va pas résoudre mes problèmes de brûlures de pied, mais au moins ça ne s'empira plus. Ah oui, elle me donne aussi une batterie de frontale chargée, indispensable sachant que la nuit va bientôt tomber et qu'il reste encore quelques heures by night. Fred' demande des nouvelles de ma cheville : R.A.S. il a survécu à Mafate, je la kiffe ma cheville. Ça fait du bien de retrouver Fred' et de retrouver la civilisation.

 

Bon, là y'a même un peu trop de 'civilisation': en sortant du ravito' on longe la grande route qui mène à StDenis, ce n'est pas la partie la plus belle. Mais heureusement (ou hélas..) on quitte rapidement le bitume et ses voiture pour retrouver les sentiers réunionnais et leur technicité. Là en l'occurrence on s'attaque à un passage mythique du Raid : la 'Promenade des Anglais'. Et c'est loin d'être une promenade de santé. On m'en avait parlé, on m'avait dit que c'était un chemin pavé totalement cabossé sans aucun pavé régulier. On m'avait dit que c'était un peu l'horreur. Et bien on m'avait un peu menti : c'est pire. Incroyable ce chemin de plusieurs kilomètres, y'a pas un pavé droit et en alligné sur les autres. C'est un énorme bordel sous nos pieds, qui morflent donc à nouveau. Tout au milieu c'est un peu moins pire, dont chacun essaye de tenir cette ligne. Ce serait vraiment con de se faire une cheville ici, si proche du but.

 

Le but je commence à l'avoir en tête. Je commence même à me motiver d'avancer un peu plus vite. Du coup je trottine un peu, ce n'est pas grand chose en vitesse, mais mentalement ça fait du bien. Il n'y a plus grand monde devant ou derrière moi, les quelques raideurs que je passe son plutôt en mode zombie, parfois accompagnés de proches qui font cette partie à leurs côtés pour les motiver. Ma frontale est allumée à nouveau, c'est la début de la 3ème nuit. Le manque de sommeil commence à avoir des conséquences plutôt rigolotes : j'ai mes premières hallucinations, phénomène assez courant en ultra. Pour moi, chaque pavé totalement irrégulier que je passe a la forme d'un animal. Là sur celui-ci je vois un éléphant. Là un poisson. Celui-ci serait plutôt un chat, ou, non, un lion même. C'est plutôt amusant et fait passer le temps.

 

Bon, c'est bien sympa tout ça, mais mon but et quand même de quitter ce terrible chemin désordonné au plus vite et d'arriver au ravito de 'Grand Chaloupe', qui sera l'avant-dernier de l'aventure. Et Fred' y sera, avant qu'elle ne replonge dans la voiture, puis les bouchons, pour rejoindre le stade de La Redoute, à StDenis.

 

Ca y'est : j'arrive à Grand Chaloupe. On est sur les voies de l'ancien chemin de fer. Avec Fred' on sait que ça va le faire, 'Plus que' une grande montée et une descente, 'plus que' 15kms (bon, vous l'avez compris, ça fait plusieurs heures quand même..). Symbolique de cette idée que ça sent bon l'arrivée : j'enfile le t-shirt aux manches jaunes de l'organisation du Grand Raid, t-shirt obligatoire pour les premiers kilomètres de l'aventure, et les derniers, ceux qui permettent de franchir la ligne d'arrivée.

Pour une fois je ne m'attarde pas à un ravito' et pour la 1ère fois l'idée du temps d'arrivée final me passe par la tête. Ça fait 46heures que je suis en route, je pourrai passer sous les 50heures peut-être ? Bien sûr c'est une futilité, mais ça donne le petit coup de boost pour tenter d'avancer au mieux.

 

Bon, par contre, la dernière montée, que je pensais quelconque, l'est tout sauf. On reprend 850m de D+. C'est sableux, poussiéreux, et c'est raide. Ça n'en finit jamais. Je ne croise plus grand monde. J'entends parlé allemand devant moi, c'est désormais beaucoup plus rare que d'entendre des voix, surtout en langue étrangère ; contrairement à l'UTMB le Raid attirant beaucoup moins de trailers/fadas internationaux. Ah d'ailleurs, j'en suis un moi: bah oui, je me suis inscrit en tant que hollandais. Je n'en ai pas croisé d'autres sur le parcours. Trop raisonnable ce peuple.. 'faut vraiment être taré pour se lancer dans l'aventure de la Diagonale qui porte si bien son nom..

 

Jusqu'au bout c'est dur. Toujours pas de kilomètre 'gratuit', facile, roulant. Ma montre indique déjà plus de 160kms au moment où j'arrive, enfin au sommet de cette dernière montée. C'est dans le Parc du Colorado, et on s'y croirait parfois dans l'ouest américain (bon, évidemment ça ne vaut pas notre 'colorado provençal', mais bon, c'est dépaysant quand même..). Allez, tout dernier pointage électronique (c'est bon, j'suis dans les temps.. on ne va pas m'arrêter là) et tout dernier ravito. Comme à chaque fois je remercie les bénévoles, mais là un peu plus encore, avec un merci général pour tout leur fabuleux boulot et leur aide durant cette aventure, dont je commence à voir la fin. Ça me donne les frissons.

 

Je repars, et vois au bord du chemin à emprunter le petit panneau « La Redoute ». C'est le stade de StDenis, lieu de l'arrivée. Lieu de la délivrance et d'un bonheur sûrement immense. Comment vais-je la passer cette ligne d'arrivée : en rampant, en sautant, en embrassant le sol, en pleurant.. ? On verra, on fera ça spontanément, au feeling. Pensons déjà à y arriver., Parce que oui, même la fin n'est pas du gâteau. C'est une descente hyper technique à nouveau. Presque impossible d'y courir. Pourtant c'est ce que j'essaie de faire. C'est bon, ma cheville a tenue, poussant là un peu plus. Et là je lâche les chevaux. C'est inutile mais jouissif. Je vais, cours, vole. Il est 22h, je me dis que je peux arriver avant 23h. Aucun intérêt oui, quoi que si: celui de prendre du plaisir, et continuer à vivre cette aventure à fond, déraisonnablement. On voit les lumières de la grande ville en bas de nous, les lumières de StDenis, avec même le Stade de la Redoute, là, tout en bas. Ça ne fait qu’augmenter mon rythme (cardiaque aussi..).

 

Les quelques autres raideurs que je passe hallucinent de voir quelqu'un courir à ce moment-là. Sur ce terrain accidenté je prends quelques risques. Mais c'est un jeu et ça me fait du bien après toutes ces heures (plus de 48h..) passées à y aller molo, piano, 'ti pas 'ti pas. Je rattrape quelques trailers en t-shirt manches bleus, ceux du 100km, dont une coureuses réunionnaises qui semblent maîtriser parfaitement ce terrain. Elle court aussi. Je lui emprunte le pas. Ensemble, on fonce dans cette descente technique, c'est magnifique. Je l'encourage à continuer 'Allez, vas-y, vas-y, on continue'. On descend de plus en plus, et la ville devient de plus en plus grande et bruyante. Je pense entendre le speaker et les festivités du stade là. Je sais que je m’apprête à vivre ce moment tant attendu, pas depuis 49heures, mais depuis 2ans en fait.

 

Mais je ne réfléchis plus à rien, si ce n'est que de foncer pour y arriver. On quitte la nature pour la dernière fois et on retrouve la ville, ses rues, son trafic, son bitume. Je passe la fille avec qui on a fait cette descente folle, je la félicite. Et je sprinte jusqu'au stade, énorme sourire aux lèvres, et avec des 'merci' pour chaque bénévoles, chaque réunionnais que je croise.

 

Putain, il est là le stade. Enfin là. Le Stade de la Redoute, celui de la délivrance. Il n'est pas redouté, il était tellement espéré. Je passe l'entrée en sprintant. Il y a un demi-tour à faire, sur la terre battue, qui finie de nous salir un peu plus. Le public est là et assure une superbe ambiance. Mlle Tortue m'a vu et tente de courir à mes côtés tout en immortalisant tout ça. C'est l'extase, je suis euphorique, je fais quelques mètres à cloche-pieds, sur cette cheville qui m'avait tant tracassé mais qui a tenu, je saute, je crie et passe la ligne d'arrivée avec un beau jump. YEEEEEEEEEEEEEEEEEESSSSSSSSSSSSS! Putain c'est fait, j'ai réussi, je suis finisher du Grand Raid de la Réunion, survivant de cette Diagonale des Fous!

 

Fred' est là pour partager ça avec moi. C'est un intense moment de joie. On me met la célèbre médaille au cou et on m'offre le mythique t-shirt "J'ai survécu". Le speaker qui a assisté à mon énergique arrivée, m'interviewe et me dit qu'il me doit rester encore un peu d'énergie pour faire quelques pas de danse sur la musique locale diffusée dans le stade, non ?. Et là, c'est le drame, énorme ombre au tableau [lol] de cette aventure: je ne réfléchis pas et me mets à danser.. Oui, c'est terrible j'en suis conscient aujourd'hui. Et Réunion Première filme ça, mais aussi Jean-Marie, qui est là, et qui immortalise et partage ce grand moment gênant [lol].. Lui est tout propre et déjà reposé. Moi j'suis bien transpirant et plus trop au top de la forme. On se félicite et on se débriefe nos périples. On est d'accord pour dire et confirmer que c'est vraiment un truc de fou, un parcours magnifique mais monstrueux, l'enfer, mais le paradis aussi. Une expérience inoubliable.

 

Au final, je suis bien arrivé juste avant 23h (ah, au fait : décollage pour l'Ile Maurice lundi matin.. il est bien négatif le test PCR de Cilaos..?). J'ai mis 49heures et 15minutes pour traverser, en diagonale, cette île de fadas. Je suis 989ème, assez loin de podium oui. Mais, attention, je suis 1er hollandais (on était 4 apparemment). Mais je suis surtout aux anges, terriblement content d'avoir réussi. Le bracelet 'Diagonale des Fous 2019' que je porte au poignet, va enfin pouvoir être coupé. Un rêve de plusieurs années vient de se réaliser. L'année sportive 2020 m'était très frustrante, l'année 2021 a été dingue, avec donc ces deux mythiques ultra-trails (UTMB et Grand Raid) finis en l'espace de 2mois. Je pense que je peux me reposer un peu maintenant. On verra les projets pour l'année 2022. Quoi qu'il en soit, je vous la souhaite merveilleuse, emplie de belles choses, dont des défis, un peu fous peut-être..

 

Bon, faut quand même que je dise un merci à mon ostéo' (et merci à JM de me l'avoir conseillé) qui a fait des miracles. Mais énorme merci bien sûr à vous tous pour votre soutien, vos encouragements et vos messages, et d'avoir suivi tout ça via le Live, parfois en pleine nuit. Merci à Eric mon compagnon d'aventure pendant ces longues heures passées ensemble. Et, évidemment, au-delà de tout, énormissime MERCI à Mlle Tortue, qui aura vécu tout ça avec moi, de la déception il y a 2 ans, au bonheur cette fois-ci. Bon, elle m'a peut-être juste accompagné pour retourner à la Réunion, boire du rhum, et puis aller à l'île Maurice, mais bon, c'est plutôt sympa de sa part quand même.. ;)

 

 

Bonne année 2022 à tous !

 

Stéphane

 

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Commentaires: 3
  • #1

    Geneviève (samedi, 01 janvier 2022 21:17)

    Ça y est, je viens de passer la ligne d'arrivée de fin de lecture,qu'elle aventure!!!!!!!!!! Pour Stéphane bien entendu. Félicitations pour ces deux performances : la course et le compte-rendu, j'avais suivi ta progression et celle de Jean-Marie en live, c'était impressionnant et
    Bravo aussi à Jean-Marie pour sa performance, quelle progression.
    Quels projets pour 2022 ?

  • #2

    Le Moyen (lundi, 03 janvier 2022 15:55)

    La Redoute, je connaissais son catalogue mais pas son Stade :) Quel plaisir de lire ce récit et d’imaginer ton soulagement de passer cette ligne d’arrivée après tant d’heures d’effort et d’abnégation.
    Tu racontes si bien cette aventure que tu nous donnes l’impression d’être à tes côtés avec « Éric » ou « Jalabert et sa femme ».
    Ça valait le coup d’attendre 2 mois avant de pouvoir te lire.
    Félicitations Steph pour ton exploit et ta narration et bravo à Fred la championne de la logistique!
    Bravo surtout à ta cheville d’avoir tenu le coup ( tu connais la chanson : « Pose les deux pieds en canard, c’est la cheville qui redémarre, en voiture les voyageurs, la cheville part toujours à l’heure… »)

  • #3

    Thomas (jeudi, 06 janvier 2022 22:19)

    Enorme exploit, bravo M. le Blond! Avec ton roman et les superbes photos, c’est comme si on y était allé aussi (alors qu’on t’a suivi tranquillou sur le canapé, une bière dans la main). Médaille d’or en logistique pour Mlle Tortue!